De nombreux E-commerçant ignorent que tout site internet est ce qu’on appelle juridiquement une oeuvre multimédia. Quant à ceux qui le savent, ils ignorent ou connaissent mal le régime juridique qui lui est applicable compte tenu de la complexité de sa qualification
Maître Murielle-Isabelle CAHEN est avocat depuis 1996 et titulaire du certificat de spécialisation en droit de l’internet et de l’informatique nous fait part de son expérience sur ces questions.
Pouvez-vous expliquer la différence entre droit d’auteur et droit des marques ?
Le droit d’auteur est constitué par l’ensemble des droits reconnus à l’auteur d’une œuvre et à ses ayants droits. L’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que « l’auteur jouit de son droit du seul fait de sa création » il suffit d’avoir crée, le droit d’auteur naît ipso facto, il n’y a pas de démarche à entreprendre. Deux conditions sont nécessaires pour bénéficier du droit d’auteur : la forme de l’œuvre doit être perceptible (et ne pas seulement être une idée) et l’œuvre doit être une création intellectuelle originale.
La marque quant à elle doit répondre à l’exigence de l’article L712-1 du CPI : la propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement. Le signe choisi pour la marque doit être distinctif et disponible.
Qu’est-ce qu’une œuvre de l’esprit et comment les sites internet peuvent-ils être qualifiés d’œuvres de l’esprit ? Un exemple ?
L’oeuvre de l’esprit est une création intellectuelle. L’idée est qu’il faut une activité créatrice. Cela suppose la conscience d’un résultat à atteindre pour le communiquer aux tiers. Il faut un effort intellectuel de création, de composition ou d’expression. Pour qu’une oeuvre soit protégée par le droit d’auteur, il faut qu’elle soit originale. Elle doit être le reflet de la personnalité de l’auteur.
Un site Web utilise des logiciels et des bases de données soumis à une législation spécifique. Mais, s’il est original, le site internet sera considéré comme une oeuvre de l’esprit. A titre d’exemple, la cour d’appel de Versailles a condamné une société pour contrefaçon pour avoir reproduit la combinaison originale des éléments composant le site internet d’une autre société (Cour d’appel de Versailles, 2 juillet 2013, « Vente-Privée.com / Club Privé »).
Le nom de domaine d’un site est-il protégeable de la même façon que le site en lui-même ? Quelles sont les conditions de sa protection ?
Le nom de domaine profite à celui qui, le premier arrivé, en demande la réservation. Il n’est pas protégeable de la même façon que le site lui-même qui doit être original pour pouvoir être protégé et qui bénéficie de la protection accordée au droit des desseins et modèles, logos et base de données.
La réservation du nom de domaine n’équivaut pas à une protection. Pour protéger son nom de domaine, ce sera par le biais d’une action en concurrence déloyale, mais pas d’une action en contrefaçon. Pour déposer un nom de domaine, il faut passer par des organismes spécialisés. L’AFNIC, par exemple, s’occupe des noms en « .fr » mais il est nécessaire de passer par un autre intermédiaire, appelé « register ».
Peut-on protéger son site à la fois par le droit d’auteur et le droit des marques ? Quel est l’avantage de l’un par rapport à l’autre ?
Un site peut être protégeable à la fois par le droit d’auteur et par le droit des marques. En effet, le nom de domaine, s’il est disponible et distinctif, peut et même doit, être déposé à titre de marque afin d’assurer une protection maximale.
En effet, la protection par le droit d’auteur née sans formalité de dépôt, elle aura donc pour avantage, si le site est original, d’assurer à l’auteur du site une protection via la voie de l’action en concurrence déloyale si une utilisation concurrente non autorisée intervenait avant son dépôt à titre de marque.
Pourquoi protéger son nom de domaine est-il important ?
Le nom de domaine est un moyen technique de localisation et d’accès aux pages web. Ce n’est pas un titre de propriété industrielle, mais pour certaines entreprises il représente une valeur commerciale majeure. L’entreprise doit impérativement anticiper son développement et protéger les principaux noms de domaines dont elle pourrait avoir besoin que ce soit pour son usage propre ou pour éviter que des tiers ne s’en emparent. Il existe des « cybersquatters » qui déposent les noms correspondants à des marques ou à des noms de sociétés afin d’en tirer profit de manière indue.
Quels conseils pouvez-vous donner aux entrepreneurs qui se rendent compte que leur nom de domaine a été enregistré comme marque par un tiers?
La jurisprudence considère que les noms de domaine peuvent constituer une antériorité justifiant l’interdiction du dépôt d’une marque. Deux conditions sont nécessaires à cet effet : le nom de domaine doit avoir été utilisé antérieurement et un risque de confusion apparaît dans l’esprit du public. C’est le cas si le site propose des produits ou des services similaires à ceux visés par le dépôt de la marque. Un entrepreneur qui réalise que son nom de domaine a été enregistré à titre de marque par un tiers peut le mettre en demeure de cesser toute utilisation de celle-ci via la procédure d’opposition avec l’aide d’un avocat.
Le mot de la fin ?
Se rapprocher de son avocat afin d’assurer une protection la plus adaptée à sa situation.